Wednesday, January 6, 2016

Mauro Gargano - Suite for Battling Siki (2016)


Label: Gaya Recoring
Source: Mauro Gargano


Le 16 décembre 1925, le boxeur Battling Siki est abattu à coups de revolver dans une rue de New-York. Il n’a pas trente ans. On ne retrouvera jamais son assassin. Une mort à l’image de sa vie, tissée d’énigmes.

Il naît à Saint-Louis du Sénégal en 1897. Puis, vers l’âge de dix ans, il est emmené en Europe par une danseuse hollandaise. Elle l’ abandonne à Marseille. Il y dispute ses premiers combats de boxe, vers l’âge de 13 ans, avant de participer, en tant qu’engagé volontaire, à la guerre de 14-18 – où sa bravoure lui vaut la croix du mérite, la croix du guerre et le titre d’adjudant. Sa carrière pugilistique reprend en 1919. Il gagne sur tous les rings d’Europe, mais sans convaincre : il n’affronte, dit-on, que des boxeurs de second plan. En 1922, près de Paris, il rencontre pour le titre mondial l’immense champion Georges Carpentier, le héros de toute la France et, à la surprise générale, il le surclasse, le dévaste, l’envoyant définitivement au tapis en six rounds…

Une enfance romanesque, une guerre héroïque, un triomphe sportif déjouant tous les pronostics : ces circonstances devraient lui valoir la gloire et l’argent. Or, Siki ne récolte que railleries et diffamations. Dans la presse, largement acquise au racisme, ses hauts faits se retournent contre lui. Son courage sous les drapeaux ? Allons, ce n’était que l’inconscience propre aux nègres ! Sa victoire sur Carpentier ? Un coup de chance, peut-être même une tricherie ! Siki s’exile alors aux Etats-Unis, mais là-bas aussi, c’est à devenir fou. Malgré ses qualités, il ne peut pas boxer contre les meilleurs, car ceux-ci sont blancs et ne veulent pas risquer le sort de Carpentier.
Alors, puisque les rings le refusent, Siki l’indomptable se bagarre dans les cafés, quand on refuse de le servir parce qu’il est noir…  Il se bat aussi dans la presse, rendant coup pour coup. « Vous avez une statue de la liberté, déclare-t-il à un journaliste américain, mais c’est un mensonge. Il n’y a pas de liberté ici, pas pour les gens comme moi ! » C’est sans doute en voulant corriger un raciste qu’il trouvera la mort – à moins que la mafia n’ait voulu le punir pour un combat où il avait refusé de se coucher…

La vie a fait de Siki un nomade. Au fil des titres de son album, le musicien Mauro Gargano a choisi, pour lui rendre hommage, de suivre sa trace dans les villes où s’est déroulée son histoire. Cela va de Saint-Louis à Amsterdam, où Siki a rencontré son épouse, de Dublin où il a perdu son titre de champion du monde, au quartier irlandais de  New York où il a été descendu... Et cela donne une brillante sarabande musicale, jouant avec jubilation des influences les plus diverses. Mais le principal enjeu n’est pas là. L’album « Do do boxe » est, plus encore qu’un voyage géographique, une exploration intime – Mauro Gargano a pratiqué la boxe, et ça s’entend, sa musique la raconte de l’intérieur...

Chacun des morceaux qui compose cette œuvre s’ouvre dans une sorte de brouhaha. On devine qu’on est au bord du ring, lors du fameux match de Siki contre Carpentier. On entend la voix de l’entraîneur qui donne ses consignes au boxeur (« Crois-moi, tu fais ce que je te dis ! T’as confiance en moi ? ») Mais que valent ses mots ? Parle-t-il pour son bien ou pour le trahir ?  On entend aussi Siki qui, dans des monologues intérieurs, s’exhorte, s’interroge, confie ses espoirs, ses rêves, sa trouille. « J’en ai marre de me salir les mains avec mon propre sang. Dieu sait si ça fait mal… » Saisissante sincérité, que celle d’un homme acculé dans un coin, dans une impasse où la seule échappatoire est de se battre encore et encore. 

Puis, quand le gong retentit, quand le match reprend, l’entraîneur et le boxeur se taisent, la musique prend le relais. Six fois, à chaque round, la bagarre de cuivres blessés, de cymbales froissées, de notes courant sur la contrebasse recommence. Six fois, c’est une succession de mélodies nerveuses, de tempos saccadés racontant la boxe, comme dans les beaux films noirs qui lui ont été consacrés. Six fois, on devine Siki repartant au combat et Mauro Gargano trouve de nouvelles harmonies pour chanter son énergie, son courage…

Siki a inspiré des intellectuels et des artistes divers : Ho Chi Minh, Paul Vaillant-Couturier, Ernest Hemingway, Henry Miller ont écrit sur lui. Plus récemment, un opéra et une bd lui ont été consacrés. L’aventure continue, le champion est de retour, aux couleurs du jazz cette fois !







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