djamlarevue
Le plus odieux dans la formule journalistique est moins son implacable débilité, que le constat que de temps à autre, bien plus rarement qu'on ne l'utilise, elle convient. Elle idoine même. Elle sied. Donc oui, Jobic Le Masson est bien « le secret le mieux caché » du jazz parisien, depuis trop longtemps pour trouver cela normal. Mais je m'arrêterai là, dans le cadre de ma thérapie contre la quérulence chronique de ces chroniques.
Revenons au pianiste : deuxième album de ce trio après Hill en 2008, mais cette fois avec Steve Potts aux saxophones en plus de Peter Giron et John Betsch (basse et batterie). Soit un line up très marqué par Steve Lacy, parfaitement. Deuxième album en leader pour ce pianiste bientôt cinquantenaire qui a pourtant joué avec beaucoup de monde, notamment les camarades de la scène parisienne de sa génération et notamment ceux passés par le free. Or, Jobic ne joue pas là du free, quoique les incursions plus out aient plus qu'un droit de cité dans l'album (voir le solo de Steve Potts sur « Double Dutch Treat », composé par John Betsch). Song est une caravelle gonflée d'universelle musicalité navigant dans la mer des Sargasses d'une histoire du jazz idéale, sans recherche de concept ni de référence que ceux qui viennent sous les doigts. Sous les heures et les années d'improvisation à quatre, sous la complicité et l'entente qui ont pris leur temps.
Song est peut-être une chanson, filée par un propos très narratif dont les solistes fournissent une trame captivante et soubresauté de mille plateaux : ballade langoureuse à la pulsation bancroche (« Idania »), marche antimilitaire à la solennité fantasque et créatrice (« Tangle »), up tempo dont l'évidence masque la précision de l'arrangement et de l'interprétation (« Cervione »), etc. Song est peut-être la somme des influences de son leader, revendiquées ici à travers Waldron et Monk (j'aime ce type,!), suggérées dans le jeu de chacun des solistes.
Song est peut-être sa diversité musagète, peut-être plus que la somme de quatre individualités fortes dont chaque solo touche juste, c'est-à-dire au cœur de tout ce qui fait que nous écoutons de la musique, dans la simplicité d'une tonalité comme dans la touffeur ésotérique de vocabulaires plus complexes. Song est peut-être tout cela, et plus encore tout ce qu'on ne peut écrire ni dire, parce que Song est. Ça suffit bien à préserver cette vie de toute attaque journalistique, dont le plus odieux reste de réifier les êtres vivants. Alors faisons silence, devant la chanson de ce quartet précieux.
01. Cervione
02. Round Table for Four
03. Song
04. Tangle
05. C
06. Waldron Well
07. Brook
08. Double Dutch Treat
09. Indian
10. Backache
11. You Must Think I'm Crazy
Steve Potts : saxophones
Peter Giron : contrebasse
John Betsch : batterie